PÉRIGNAC : WELLY, LE CHAT DE GOÛT

Voici la petite histoire de Welly, un chat de gouttière qui ressemble étrangement à un lynx, avec sa fourrure brune, tachée de rayures noires. Ce gaillard de matou est un malin, peureux, orgueilleux et prétentieux, qui n’a ni foyer, ni maître. Il ne s’en plaint pas trop, puisque ses instincts de poubelles lui fournissent toute la nourriture dont il a besoin.

Dans ce récit, Welly fera la connaissance d’une jolie chatte angora du nom de Princesse. Celle-ci est naïve, douce, chaleureuse et aimable. Contrairement à Welly, elle vit dans un luxueux foyer, entourée de beaucoup d’attention. Il paraît que Princesse est née dans un endroit très spécial! Ainsi, selon les rumeurs, elle serait l’une des quatre derniers chats venant d’un tout petit pays du nom de Woubidounanlais.

Le destin se chargera de mettre Welly et Princesse sur la même route. Ils deviendront de véritables copains et vivront ensemble des aventures plus cocasses les unes que les autres.

Chapitre 1

Tout près de la magnifique ville de Pamatou, non loin de la vallée du Chiendort, se situe un village qui porte le nom Antichavallée. Les habitants de ce petit village n’acceptent pas les minous sur leur territoire! Voulez-vous savoir pourquoi? Antichavallée appartient le plus gros marché de poisson de la région. Ce n’est pas étonnant de voir que les minous ne sont pas les bienvenus! Tout le monde sait que les chats adorent le poisson. Les habitants se sont donc armés de chiens de garde pour surveiller leurs commerces. D’ailleurs, dans toutes les rues d’Antichavallée, des pancartes affichent l’image d’un chat, posant fièrement derrière un gros "X" monstrueux. Sur ces affiches, on peut lire : "Passage interdit aux chat"s. Pour les minous, qui ne savent pas lire, ces affiches signifient : "Ceci est une croisée de chemins pour matous, allez, vous pouvez circuler!"

Princesse était la seule, dans la famille des félins, qui pouvait habiter Antichavallée. Elle n’avait pas à chasser pour sa nourriture, donc les marchands ne la craignaient pas! Sa maîtresse, Mademoiselle Dorlota Pantouf, institutrice à la retraite, lui offrait du caviar, du pâté importé et du lait crémeux. Rien ne pouvait être trop cher pour sa chatte de luxe! Princesse pouvait faire l’envie de tous les chats ; elle possédait son propre lit, ses propres jouets et toutous, même sa berceuse et ses bijoux!

Depuis quelque temps, notre ami Welly rôdait aux alentours d’Antichavallée. Il connaissait bien les lois, mais cela ne l’avait jamais empêché d’entrer dans le petit village, surtout à l’heure des repas! Ce jour là, comme à chaque fin d’après-midi, Welly traversa la ruelle des tentations, cette rue principale remplie de kiosques à poissons. Puis, comme il devait s’y attendre, des aboiements féroces se firent entendre au fond des cours. Les chiens de garde ayant senti la présence de Welly.

Parmi ces chiens, il y avait deux bouledogues, un se nommait Kim et l’autre Kam. Leur maître n’était nul autre que le maire Théodore Niche du village d’Antichavallée. Le maire était très fier de Kim et Kam, car ils réussissaient fort bien à débarrasser le village des chats non désirés. Ils accomplissaient leur tâche à merveille!

Aussitôt qu’ils aperçurent Welly, Kim et Kam sortirent en furie de leurs cabanes et passèrent devant leur maître, réjoui par ce genre de chasse. Les chiens de monsieur le maire connaissaient très bien Welly et ne rataient jamais l’occasion de le chasser du village.

Les deux bouledogues donnaient toute une poursuite à notre ami, mais l’habile fugitif était vraiment trop rapide pour eux. Le chat sauta sur une clôture et se lécha les pattes avant de crier à ses poursuivants, de ton échaudé par la colère :

- Vous feriez mieux d’abandonner la poursuite, pauvres esclaves de la servitude! Vous ne pourrez jamais m’attrape!

- Tu devrais venir nous répéter cela en dehors de ta clôture, Welly le misérable, répondit Kam d’un ton sévère, nous allons te montrer comment respecter la loi! Tu sais que tu n’es pas le bienvenu dans notre village!

- Tu ne me fais pas peur Kam! s’écria Welly.

- Un de ces jours, nous t’aurons Welly! répondit Kim.

Les deux bouledogues s’éloignèrent, mais Welly préféra demeurer sagement sur sa clôture jusqu’à la nuit. De toute façon, il savait que les chiens ne seraient pas de retour, puisque le soleil commençait à descendre à l’horizon. Le petit village serait maintenant calme et notre ami n’avait plus rien à craindre!

Comme la noirceur tombait lentement sur Antichavallée, Welly vit une lumière qui s’alluma à l’une des fenêtres d’un immeuble modeste. Assis en équilibre au sommet de sa planche favorite, le matou aperçut, pour la première fois, la jolie chatte angora du nom de Princesse. Celle-ci faisait une sieste sur un balcon du deuxième étage.

Welly fixait les oreilles de la petite chatte en soupirant tendrement, dès qu’elles s’agitaient pour éloigner les moustiques. Tout en respirant l’odeur des déchets situés dans les poubelles environnantes, notre ami se mit à miauler tendrement le langage des minous, pour attirer l’attention de la petite chatte.

Malheureusement il n’y parvenait pas, il ne voyait qu’une seule oreille s’émouvoir! Par contre... la voix rauque et détonante du chat attira la maîtresse d’école. Mademoiselle Dorlota sortit brusquement sur le balcon, en tenant un vieux soulier, qu’elle lança sans hésiter au chat de gouttière. Le cri déchirant de Welly sortit la jolie chatte blanche de son doux sommeil. Princesse vit le pauvre matou s’écrouler mollement sur la clôture.

- Ça lui apprendra à venir miauler sous ma fenêtre! hurla la vieille dame en colère.

- Oh! ce chat est sans doute blessé, se dit la jolie chatte, en introduisant la tête entre les barreaux du balcon, il ne bouge plus ; il est peut-être mort! Pourquoi a-t-elle maltraité ce pauvre malheureux? Je ne t’aime plus, maîtresse ingrate! Je ne veux plus de tes plats succulents...du moins, pas pour le moment!

C’est ainsi qu’une autre naïve se laissa prendre au jeu de Welly! Princesse ne connaissait pas encore cet acteur de ruelles! Welly aime faire semblant et le coup du chat blessé fonctionne, à chaque fois qu’il désire obtenir de la pitié.

- Je dois m’assurer que ce n’est pas trop sérieux! se dit Princesse.

Lorsque sa maîtresse tenta de la saisir pour la faire entrer à la maison, elle lui échappa de justesse en sautant sur la rampe du balcon. Les cris et avertissements de l’institutrice ne pouvaient la faire changer d’idée :

- Princesse, reviens immédiatement... ! ordonna la vieille dame.

Princesse ignora la directive de sa maîtresse et plongea dans le vide, pour ainsi voler à la rencontre de celui qui venait de lui donner des ailes. Comme tous les chats, elle retomba sur ses quatre pattes, avant de compter mentalement le nombre de vies qu’il lui restait. Un félin possède entre sept et neuf vies, c’est du moins ainsi dans ce conte!

Au moment où Princesse prit son élan pour sauter sur la clôture, Welly s’étira, en faisant semblant d’être encore étourdi par le soulier de Mlle Dorlota. Son geste trop rapide le fit basculer.

N’ayant pas prévu cet incident, le chat de gouttière tomba dans le cou de Ti-mé le voyou, le plus grand cambrioleur d’Antichavallée. Ti-mé venait tout juste de dérober l’épicerie de Kasimir, le marchand du coin. Ti-mé transportait un gros sac sur son épaule et se sauvait à toute vitesse du lieu du crime, lorsqu’il sentit Welly agrippé à son collet.

- Lâche-moi, sale bête, lui cria Ti-mé, tu es en train de tout gâcher!

- J’aimerais bien descendre, reprit le matou peureux, mais je ne sais pas comment! Attention... Ne me faites pas mal ! Le pauvre Welly était figé de peur, il ne pouvait réellement pas bouger!

Au même instant, Léon le gendarme et Kasimir arrivèrent en courant. Ils trouvèrent le malfaiteur en train de se défendre contre un adversaire très habile!

- Je t’ai dit de me lâcher! s’exclama de nouveau Ti-mé.

- Et moi je t’ai dit de ne pas me faire mal! S’écria Welly, qui mordait à belles dents les doigts de celui qui cherchait à lui tordre une patte.

De loin, la jolie Princesse assista à la scène. Elle ne put s’empêcher d’être émerveillée devant ce spectacle des plus étonnant!

- Ce chat est si brave! se dit-elle, c’est un vrai héros! Hum! Je crois que je ne risque rien en le suivant jusqu’au bout du monde!

Pendant ce temps, le voleur désespéré, décida finalement d’abandonner le combat, lorsque Léon le gendarme parvint à saisir Welly sans le brusquer. Le matou disparut à toute vitesse, dès que l’agent le déposa sur le sol.

- Sauve qui peut! S’écria Welly en courant, j’ai bien failli y laisser ma peau!

- C’est incroyable! S’exclama Kasimir en le regardant s’éloigner. Qui aurait cru que cette sale bête pouvait nous aider à capturer le plus grand malfaiteur d’Antichavallée! Il faudra que j’en parle au maire Niche. Un acte aussi courageux doit être récompensé, même si le héros est un vulgaire chat de gouttière!

Malgré lui, Welly devint un héros! Pourtant, le poltron oublia dans sa fuite, Princesse qui le talonnait, en se demandant la raison de cette course effrénée.

- Hé...! Attends! Arrêtes, je t’en prie! lui cria Princesse. Pourquoi ce chat court-il comme un fugitif? Si ce matou ne voulait pas être un héros, cela expliquerait son étrange comportement!

A force d’y penser, la chatte finit par le croire. Lorsque finalement, il se sentit en sécurité, Welly s’arrêta brusquement, pour examiner dans la nuit, cette tache blanche qui se rapprochait de lui, en trottant joyeusement.

- Comme tu es brave mon ami! lui dit-elle en demeurant timidement devant lui. Si je n’avais pas été là pour le voir de mes propres yeux, jamais je n’aurais cru possible de découvrir un chat aussi courageux! Puis, j’ajouterai sans hésiter, que tu étais déjà très mal en point à cause de ma maîtresse!

- Comme tu vois, je me porte très bien à présent! lui dit fièrement Welly, c’est cela un vrai héros! Il se bat contre les voleurs, après avoir subi des blessures et il ne compte pas le nombre de fois, que les voitures lui roulent sur le corps!

- Oui et surtout si humble qu’il préfère s’éloigner, dès qu’il a accompli sa mission! ajouta-t-elle. Tu craignais sans doute les louanges du gendarme et du marchand?

- Hum! Oui, c’est évident, un héros n’a pas le droit d’accepter les louanges de ceux qu’il défend contre les voleurs! répondit le matou peureux, qui ne voulait surtout pas dévoiler la vraie raison de sa fuite.

- Laisse-moi t’accompagner dans tes missions! supplia Princesse. D’ailleurs, j’ai abandonné ma maîtresse pour venir à ton aide! J’étais loin de me douter que tu puisses accomplir un acte aussi brave en ma présence! Je ne regrette pas du tout de quitter ma douce demeure pour te suivre partout. Tu veux bien me dire ton nom?

- Welly et toi?

- Moi c’est Princesse!

- Tu es bien sûre de vouloir me suivre, lui demanda le matou!

- Oh Oui! reprit Princesse toute excitée, je désire partir à l’aventure, je veux m’amuser avec toi ; tu sais Welly, je n’ai jamais eu la chance de voyager comme toi!

- Bon, c’est d’accord! lui dit Welly, tu peux me suivre!

Chapitre 2

Welly et Princesse filèrent tranquillement vers la sortie du village et disparurent bientôt sur une route déserte, en direction de la vallée du Chiendort. Après avoir marché pendant des heures, nos deux amis commencèrent à avoir faim. Soudain, l’orage éclata et la pluie se mit à tomber. C’est à ce moment là, que les deux félins durent songer sérieusement à l’avenir, Welly parla de chercher un abri, alors que sa belle compagne miaula tristement en ces termes :

- Je ne sais plus si j’ai bien fait de te suivre en dehors du village! Je suis complètement perdue! Où sommes-nous! J’ai faim, j’ai soif, j’ai mon pâté favori qui demeure seul dans le réfrigérateur et j’ai une maîtresse qui doit sûrement mourir de peine depuis mon départ! Oh! Regarde-moi, je suis toute trempée et personne pour me plaindre! Je n’ai pas l’habitude de ce genre de chose... j’ai peur Welly...miou,miou!

- Ne pleures pas, tu n’as rien à craindre, je vais te protéger! S’empressa de lui dire le matou. Moi je te trouve très belle même sous la pluie! ajouta-t-il.

- Comment peux-tu me trouver belle, alors que j’ai les poils cotonneux! Princesse lui répondit, tout en examinant sa fourrure.

- Regarde là-bas Princesse! lui dit Welly, ce beau château dressé au milieu de ce champ sauvage nous servira d’abri!

- C’est une vieille grange toute croche et vraiment laide! lui dit-elle, pas du tout rassurée!

- Tu devrais te réjouir de voir que l’on a trouvé un abri, lui dit-il, en ce moment, nous devons remercier l’ange des minous qui veille sur nous ; car nous n’avons pas de foyer. Tu as décidé de me suivre! Tu n’étais pas forcément obligée de le faire!

- Je voudrais te rappeler que j’ai un foyer et que je ne suis pas une chatte errante... moi! lui répondit Princesse, visiblement indignée.

- Oh! Pardon...! reprit Welly, d’un ton moqueur, si c’est vrai que tu as un foyer, qu’est ce que tu fais dehors sous la pluie!

Princesse était en train de découvrir rapidement le sale caractère de ce prétentieux Welly et se proposait de lui mettre sous le nez, dès la première occasion, mais pour l’instant, elle préféra se taire.

- J’espère que tu n’es pas fâchée à l’idée d’attendre jusqu’à demain, pour retourner dans ton douillet logis et manger ton cher pâté à ma santé, lui dit le matou!

- Tu es méchant et arrogant! lui répondit la chatte mouillée. Ma maîtresse a sans doute raison de prétendre que tous les chats de ruelles sont des gros miauleurs lâches et paresseux!

- Pas moi! lui répondit Welly, puisque j’ai participé à l’arrestation d’un voleur. Tu t’en souviens, j’espère! Ta maîtresse ne connaît rien aux chats de ruelles!

- C’est pourtant vrai! lui dit la petite chatte, je me demande pourquoi Mlle Dorlota parle toujours des matous avec méfiance!

- Ta maîtresse ne fait que répéter ce que tous les gens disent à notre sujet, lui fit remarquer Welly.

- Entrons à l’intérieur de la grange, je n’aime pas cette pluie glaciale...! dit Princesse.

- D’accord, mais passe la première! lui dit-il.

- Tu as peur d’entrer avant moi? lui demanda Princesse.

- Bien sûr que non, dit-il, simple politesse voyons!

En vérité, Welly est un chat très méfiant, il avait peur d’entrer parce qu’il ne savait pas ce qu’il y avait à l’intérieur de cette grange! Elle est peut-être habitée par d’autres animaux, qui ne seraient pas tellement contents de voir leur territoire envahi par nos deux amis! Toutefois, son côté orgueilleux le forçait à cacher sa crainte devant Princesse, il voulait à tout prix préserver son image de héros.

Princesse décida donc d’entrer la première, le vieux bâtiment semblait vide. Aussitôt qu’elle se sentit en sécurité, elle sauta entre deux planches pourries, afin de s’y installer confortablement. La pauvre chatte ne se doutait pas qu’elle venait d’envahir le territoire du terrible Raoul et de sa bande! Comment aurait-elle pu deviner que cette vieille grange servait de refuge à des félins de la pire espèce!

Raoul était le gros matou incontesté et jamais vaincu par les petits chats des environs. Lui, c’était un vrai dur! Les autres chats de sa bande semblaient apprécier la compagnie de leur chef, puisqu’ils acceptaient de subir les humeurs de ce sale tas de poils. Raoul était gros, laid et puant. A part ces petits défauts il possédait un très mauvais caractère, il était agressif et intolérant. Vraiment, nos amis n’étaient pas dans un endroit recommandable!

Heureusement pour eux, Raoul et ses amis étaient absents. Il n’y avait que ce pauvre Welly qui suivait Princesse en ronronnant des sons mystérieux. Welly tremblait et ses poils se dressaient sur son dos comme sur celui d’un hérisson. Princesse lui dit joyeusement :

- Tu trembles parce que tu es trempé?

- Hé! bien oui, dit Welly, tout en éternuant, je crois que je suis en train d’attraper un bon rhume!

- Ah non! répliqua Princesse, tu blagues!

- Oui, je blague, lui répondit Welly. Toutefois, tu vois ce qui m’arrive lorsque mes poils prennent un bain de pluie...? Ça alors! Je crois réellement qu’ils sont de mauvaise qualité!

- Mes poils doivent sûrement être d’une très bonne qualité, puisqu’ils ne sont pas raides! dit la petite chatte tout en jetant un coup d’oeil rapide à sa fourrure. Que veux-tu, je suis une vraie chatte de race pure moi!

- Et moi qu’est-ce que je suis alors? S’exclama Welly d’un ton indigné, un puant chat de gouttière! Tu me blesses en me parlant ainsi et moi qui voulais te proposer de trouver de quoi manger!

- Tu sais où trouver de la nourriture, j’ai tellement faim! dit la petite chatte.

- Pas moi, lui répondit le chat de gouttière, je vais me laisser mourir de faim puisque plus rien ne compte dans ma misérable vie de matou!

- Excuse-moi Welly, je ne voulais pas te faire de peine! elle s’empressa de lui dire!

Princesse s’étendit devant le malheureux tout trempé et frotta timidement son nez sur le sien, afin de le consoler. Au même instant, des bruits de pattes qui se secouent et qui se frottent sur un palier, firent sursauter nos deux amis. Ils entendirent une voix rauque qui cria :

- Allez, bande d’idiots, essuyez bien vos pattes avant d’entrer, je déteste retrouver des traces de boue dans mon château!

C’était bien Raoul et ses amis qui entraient au bercail! Mais n’oublions pas que nos deux copains ignoraient tout au sujet de ce matou!

- Qui est-ce? chuchota Princesse en se redressant sur ses pattes blanches!

- Je l’ignore! répondit Welly en avalant sa langue, pour ne pas crier.

- Je n’aime pas cette voix rauque et dominatrice, dit la chatte, qui disparut à toute vitesse.

Welly était trop effrayé pour suivre le même trajet que Princesse. Il choisit donc de grimper sur des bottes de foin empilées comme un escalier. Toutefois, son étourderie le conduisit devant une poutre, qu’il lui fallait franchir, pour aller rejoindre Princesse qui l’attendait de l’autre côté de la grange.

- Traverse Welly! lui fit signe Princesse.

- La poutre ne semble pas tellement solide, répondit Welly, qui regrettait maintenant de ne pas avoir suivi le même chemin que sa copine.

- Allons Welly, tu n’as qu’à marcher sur la poutre, reprit la petite chatte, fais vite, avant que ces étrangers te découvrent et te fassent disparaître!

- Tu sembles croire que c’est très facile de traverser sur cette poutre, répondit Welly. Bon, je suppose que je dois essayer, allons-y!

La poutre se trouvait juste au-dessus de la tête de Raoul et sa bande. Des brindilles de foin se mirent à tomber de la poutre et se planta dans leurs poils crottés. Raoul releva lentement le menton et aperçut le chat de gouttière en train de marcher en équilibre sur la poutre. Au même instant, la poutre craqua d’un coup sec et Welly tomba au milieu de ses ennemis. Il ne bougeait plus!

En effet, Welly venait de faire une chute fatale et de perdre une autre vie. Étourdi par sa chute, il préféra demeurer étendu sur le sol. Tout à coup, il entendit la voix douce de Cloé, l’ange des minous, lui dire qu’il lui restait encore trois vies de chat. Il se mit à les compter rapidement, il se souvenait de sa chute en dehors de la clôture et celle en dehors de la poutre, d’après ses calculs il devait lui rester cinq vies, mais la voix angélique lui dit :

- Souviens-toi du camion qui t’a roulé sur le corps l’an dernier et du jeune garçon qui t’a enfermé dans une poche, avant de te jeter dans la rivière! J’aimerais bien pouvoir te donner une vie d’extra pour remplacer celle que tu vas probablement perdre, en paraissant devant Raoul et sa bande, mais je n’ai pas le droit de t’accorder une telle faveur!

Cloé disait vrai. Raoul attendait simplement que l’intrus revienne à lui pour le défier dans un combat à mort. Welly avait une chance sur mille de l’emporter, mais la chatte innocente chantait joyeusement dans sa cachette :

- La, la, la...! Mon ami Welly va nous sauver! Je suis convaincue qu’il aura raison du gros matou musclé! Raoul était vraiment bâti comme un athlète, sauf que son visage aplati portait encore les marques d’un fer à repasser. Ses amis avaient tous des faces de durs et même des marques laissées par des griffes ennemies. L’un des chats avait une oreille arrachée, pour un autre, c’était un oeil qui lui manquait et le matou le plus abîmé semblait avoir une bille logée dans une oreille. Il serait inutile de parler des nombreuses bosses sur leurs têtes, qui témoignaient d’un récent combat de ruelles. Non, Welly n’était pas assez rusé pour s’en sortir indemne. Le pauvre chat de gouttière revint à lui et ouvra un oeil prudemment, pour voir aussitôt ses adversaires le regarder d’un air arrogant.

- Je dois trouver un plan qui sauvera la vie de Princesse et la mienne! se dit-il. Ah! Je crois que j’ai trouvé!

Comme s’il venait tout juste d’être frappé par un éclair, une brillante idée lui traversa l’esprit. Il se releva tout tremblant et dit d’une voix effrayée :

- Merci de me délivrer de mes malheurs, amis inconnus! Une sorcière me tourmente à chaque nuit et me bat jusqu’au matin, depuis que j’ai tué son chat noir. Elle va obligatoirement vous soumettre au même mauvais sort si vous me faites perdre ce combat. Elle aime les chats vainqueurs et non les heureux perdants. Oh! Si j’avais su tout le mal que j’aurais à subir d’elle en remportant le combat contre son chat, je me serais laissé vaincre et même meurtri de coups.

- La preuve, dit notre ami, est que ma maîtresse m’a obligé à monter sur son balais et m’a transporté très haut dans les aires avant de me jeter dans le vide. Ma chute s’est terminée devant cette grange.

- J’ai cru pouvoir lui échapper en me cachant ici, mais elle m’a jeté un sort et la poutre sur laquelle je traversais, c’est soudainement brisée! il ajouta. Oh, délivrez-moi de celle qui veut me garder en esclavage! Il faut me vaincre, puisqu’elle nous regarde de sa cachette, elle a pris l’apparence d’une jolie chatte blanche. C’est ainsi qu’elle attire les chats dans ses griffes de sorcière!

Welly pointa son doigt dans la direction de Princesse, tout en continuant son récit. Ne sachant pas ce qui se passait entre Welly et Raoul, Princesse sortit de sa cachette pour miauler à son copain de lui prouver sa bravoure. Raoul et ses amis pôlirent en apercevant Princesse et ils se mirent à penser que l’histoire de Welly et sa sorcière avait peut-être un accent de vérité! - Pitié, s’écria-t-il, délivrez-moi de cette vilaine sorcière!

Soudain, Raoul se mit à trembler comme une feuille, ainsi que ses compagnons.

- Tu es fou! S’exclama Raoul, en regardant Princesse, je n’ai pas envie de servir d’esclave à ta sorcière de malheur! Si tu acceptes de gagner le combat, nous allons t’offrir tout un sac de succulents poissons et même un jambon!

- Ce n’est vraiment pas suffisant pour me faire accepter de vivre auprès de la sorcière! répliqua Welly, je veux votre grange et même vos moustaches!

- Il faut lui donner tout, Raoul, dit l’un des félins apeurés.

- D’accord, mais tu nous laisses partir? lui demanda le chef de la bande.

- Je vous en donne ma parole! répliqua Welly.

D’un geste rapide, Welly frotta sa patte sur le museau de Raoul et Princesse aperçut le chef de la bande faire une pirouette par derrière. Il fallait voir ce Welly au cours de ce combat truqué! Ses ennemis se retrouvèrent tous sur le sol au grand plaisir de la chatte blanche. Elle hurla de joie en admirant Welly, qui obligea ses adversaires à se laisser arracher les moustaches. Raoul et ses amis s’enfuirent à toute vitesse. Welly sauta de joie, en regardant sa belle compagne juchée sur un bout de la poutre brisée et lui cria : "Nous avons réussi Princesse, ils sont tous partis!" Elle sauta près de son ami et lui dit : " Je suis tellement fière de toi, Welly!"

Maintenant que le danger était passé Welly et Princesse se mirent à déguster un copieux repas, grâce à la nourriture laissée par Raoul et sa bande! Ensuite, ils en profitèrent pour faire une sieste bien méritée!

Chapitre 3

Les jolis rayons du soleil se glissaient sur le plancher recouvert d’arêtes de poissons. Dans un coin ombragé, nos deux amis dormaient. Au chant du coq lointain, les oreilles des paresseux se mirent à faire quelques exercices de gymnastique, sans ralentir le ronronnement des deux chats. Même le roucoulement des pigeons, installés sur le toit, ne pouvait réveiller les dormeurs.

Tout à coup, des jappements venant de l’autre côté des collines avoisinantes firent sursauter Welly. Il se redressa sur ses quatre pattes et s’empressa d’aller sortir sa chatte blanche de son rêve, mais Princesse se contenta de lui dire entre deux bâillements :

- Laisse-moi dormir, je suis tellement fatiguée!

- Allons, lui dit-il, réveille-toi, tu n’entends pas ces chiens japper?

- Ce sont simplement des chiens de chasse qui courent dans le champ voisin, marmonna-t-elle.

- J’aimerais bien te croire Princesse! reprit Welly, malheureusement, mes oreilles savent reconnaître le jappement des bouledogues du maire Niche, Kim et Kam !

Welly avait raison. Mademoiselle Dorlota n’était pas le genre à laisser sa chatte rare entre les pattes d’un sale matou de gouttière! Alors, elle supplia son vieil ami, le maire Niche, de faire une battue dans les environs de la vallée du Chiendort.

Le maire rassembla donc une dizaine de villageois, heureux de l’accompagner dans ce safari. Vêtu comme un véritable chasseur africain, son honneur le maire tenait en laisse ses deux bouledogues. Ils pouvaient, sans aucun doute, flairer la piste de Welly et Princesse!

- Ce chat est passé par ici, Dorlota! S’écria le maire, tout excité!

- J’ose espérer que ce sale chat de gouttière n’a fait aucun mal à ma Princesse sinon, je vais le faire rôtir sur la place publique avec plaisir! répliqua la vieille dame.

- Mes bêtes vont le dénicher rapidement, comme des chiens de chasse! lui répondit Théodore Niche.

- Pardonne-moi mon ignorance Théodore, lui dit l’institutrice, mais j’ignorais que les bouledogues faisaient partie de la grande famille des chiens de chasse! Toutefois, je vais être la première à te donner raison, si tes bêtes me ramènent ce vilain matou à quatre pattes!

- Crois-moi, lui assura Théodore Niche, tu pourras constater par toi-même Dorlota, l’efficacité de Kim et Kam.

Le maire lança donc ses deux bouledogues dans le décor et les autres maîtres, sous l’ordre de Théodore Niche, en firent autant. Pendant ce temps, à la grange, Welly, qui savait parfaitement que Kim et Kam les découvriraient très rapidement, demanda à Princesse si elle désirait toujours retourner auprès de sa maîtresse :

- Voilà ta chance, mon amie, lui dit-il, Kim et Kam ne tarderont pas à nous découvrir. Je suis persuadé que le maire Niche, ainsi que ta maîtresse les accompagnent. Si tu désires toujours entrer à la maison, je ne te retiens pas!

- Je n’en suis plus certaine, répliqua Princesse, mais par contre, si tu dis vrai à propos des chiens du maire Niche, tu es en danger! Tu es mon ami, je ne peux pas risquer ta vie pour sauver la mienne. Donc, qu’est ce que tu proposes de faire?

Il décida donc de se frotter énergiquement sur le gros jambon laissé dans la grange par Raoul et demanda à Princesse de lui céder quelques poils de sa douce fourrure angora. Nos deux amis se mirent ensuite à coller des touffes de poil blanc sur la viande. Lorsque leur piège fut bien en place, ils déguerpirent au plus vite.

Les chiens du maire furent les premiers à d’écouvrir le jambon à l’odeur de Welly. Ils le reniflèrent un moment et décidèrent de le dévorer. A vrai dire, ces chiens n’étaient pas assez bêtes, pour ne pas se régaler d’un gros jambon, avant de poursuivre leur chasse au chat. Leurs camarades de chasse se jetèrent également sur la viande appétissante et la bataille éclata aussitôt dans cette armée de faux chasseurs.

Leurs maîtres les trouvèrent dans un coin de la grange, en train de se quereller pour un morceau de jambon. En voyant une touffe de poil blanc, l’ancienne institutrice s’évanouit dans les bras de son ami. Devenu fou de colère, le maire laissa tomber la vieille dame sur le plancher et se mit à enlever les poils collés sur la gueule de ses bouledogues.

- Ces idiots ont bouffé la chatte! S’écria le maire Niche, d’un ton rempli de rage, cette fois, vous allez être punis très sévèrement, bande d’andouilles!

- Oh! Mon Dieu! dit Kam, nous sommes dans de sales draps!

En voyant la figure de leur maître devenir rouge de colère, les bouledogues comprirent que leur salut était dans la fuite.

- Sortons d’ici immédiatement! reprit Kim, il n’y a plus rien à faire.

Ils piquèrent vers la sortie de la grange, suivis de tous les autres chiens apeurés. La vieille dame revint à elle et exigea qu’on lui remette les restes, de ce qu’elle croyait être sa pauvre Princesse.

- M. le maire, s’écria l’un des bénévoles, c’est très difficile de faire la différence entre une viande de chat et celle d’un porc!

- Faites de votre mieux, répliqua M. le maire.

De leur cachette, Welly et Princesse aperçurent les chiens courir, ventre à terre, dans un champ, pour finalement disparaître derrière la ligne d’horizon. Personne ne sait si les chiens arrivèrent dans un autre pays ou sur une autre planète! Une chose est toutefois certaine, plus un seul chien ne revint à Antichavallée. Pendant ce temps, nos deux amis se frottèrent le nez affectueusement, en attendant que le danger passe.

Pourtant, en voyant son ancienne maîtresse pleurer dans les bras du maire, la chatte se sentit faiblir de honte. Comment pouvait-elle lui laisser croire qu’elle était morte, alors que cette dame avait tellement de peine? Elle fixa sa maîtresse longuement pour ensuite se retourner vers Welly.

- Tu sais, mon ami, tout ceci n’est plus du tout amusant! lui dit-elle, j’ai fait beaucoup de peine à ma maîtresse. Ce n’est pas bien Welly, peut-être que je devrais rentrer au bercail! - Si tu fais cela, répondit Welly tristement, je suis un chat mort. J’avoue m’être vengé des bouledogues, qui voulaient ma peau dans les ruelles du village, mais je n’ai jamais voulu attrister ta maîtresse. Ce soir, je vais te reconduire chez toi et tu pourras retrouver Mlle Dorlota. Tu es vraiment chanceuse que quelqu’un pleure ta mort!

- Chanceuse! répliqua Princesse.

- Oui, chanceuse, reprit Welly. Qui pleure les chats de gouttières selon toi? Nous vivons seuls et mourons seuls, dans les fonds de ruelles. Nous sommes communs et cela suffit à nous ranger dans la famille des inutiles. Nous demeurerons de bons amis si tu le veux. Je viendrai chanter sous ton balcon tous les soirs je te le promets et ta maîtresse pourra continuer de me lancer des souliers!

- Tu es drôle, lui dit Princesse en riant!

- Pourtant, dit le matou, j’avais l’intention d’être sérieux en te parlant ainsi. Écoute, il faut me promettre de ne pas bouger d’ici, car je vais suivre ces humains de loin.

- Pourquoi veux-tu les suivre? demanda Princesse, d’un air inquiet.

- C’est simple voyons, lui dit-il, en suivant mes ennemis, je connaîtrai leurs intentions. Même s’ils te croient morte, le maire n’a pas encore eu ma peau. Je ne pense pas qu’il me pardonne la perte de ses deux idiots, Kim et Kam.

- Que va-t-il faire d’après toi? questionna la chatte.

- Oh, répondit Welly, d’un ton résigné, il va certainement ruminer une idée de vengeance! Il est donc essentiel que je sache ce qui se dira à mon sujet, en espionnant la mairie. Tout ce que j’espère, c’est que le maire ne donne aucune instruction avant demain. Je vais te reconduire chez toi ce soir, ensuite je saurai bien défendre ma vie, sans devoir pour autant risquer la tienne.

- Le maire te laissera tranquille, lui dit la petite chatte, si ma maîtresse lui apprend que je suis toujours vivante!

- Tu es très naïve ma chère amie! répliqua Welly, le maire a probablement perdu ses chiens à cause de moi. Crois-moi, cet homme veut ma peau et je n’ai aucune envie de lui en faire cadeau.

- Si le maire veut te tendre un piège avant la nuit, lui dit-elle, il serait imprudent de risquer ta vie pour moi. Je peux rentrer seule au village!

- Pas question! répondit le chat de gouttière, je ne te laisserai pas te promener seule dans le village d’Antichavallée, c’est trop dangereux! Tu n’as jamais vécu seul, tu ne saurais pas comment te défendre!

- Alors sois prudent! lui dit-elle.

- J’ai l’habitude de prendre des risques et de faire face au danger, reprit Welly, ne t’inquiète pas pour moi!

Welly suivit le cortège de chasseurs, déçus par la tournure des événements. Il entra au village et le découvrit envahi par des centaines de minous. En effet, les félins se promenaient partout dans le village, depuis le départ des chiens.

Les marchands de poisson étaient tous très en colère contre le maire. Il y avait au moins cinquante chats par table qui mordaient à belles dents dans les gros poissons frais. Les coups de balais pleuvaient de partout, mais les affamés prenaient le temps de piquer de la nourriture avant de fuir dans la ruelle. Finalement, les derniers chats s’enfuirent en emportant des têtes de saumon rose et des pétoncles.

Les marchands se lamentaient et criaient toutes sortes de menaces aux sales chats des environs. Une fois le calme revenu, ils se mirent à compter les poissons gaspillés et se dirigèrent ensuite vers la mairie, où Théodore Niche, debout dans la grande salle, s’efforçait de soulager la peine de Mademoiselle Dorlota, en compagnie de ses chasseurs. En voyant arriver les villageois, il s’adressa à eux, en tentant de les rassurer :

- Messieurs, Messieurs, je vous en prie! Je ne suis pas responsable de la perte de vos poissons! Je vous promets que nous irons chercher d’autres chiens pour protéger notre village.

- C’est ta faute Théodore, si les chats ont mangé tous nos poissons? S’écria l’un des villageois, visiblement en colère!

Cette dernière remarque du villageois, fit sursauter les gens réunis dans la salle. Ils se mirent donc à poursuivre et à frapper à coups de balais le maire Niche. A ce moment même, la pauvre institutrice ouvra rapidement son sac à main et se mit à payer tous les marchands mécontents ; elle se sentait responsable de tous ces dégâts. En vérité, rien de cela ne se serait produit, si les chiens étaient demeurés au village. Les marchands acceptèrent l’argent, sans aucune gratitude envers la vieille dame. Mlle Dorlota possédait beaucoup d’argent et c’était l’occasion rêvée pour eux de lui en arracher le maximum. Les marchands étaient très malhonnêtes, les mensonges pleuvaient de partout, un marchand qui avait perdu dix poissons prétendait en avoir perdu vingt. L’ancienne institutrice, remplie de peine, n’avait pas envie de discuter du montant. Elle paya les plaignants et retourna à la maison en pleurant.

Notre ami Welly qui assistait à la scène se dit : "Vous n’êtes qu’une bande de voleurs! Comment faites-vous pour prendre l’argent de cette pauvre dame remplie de chagrin, vous devriez avoir honte!"

Chapitre 4

Welly, caché sur le toit de la mairie, attendait pour voir si une rencontre spéciale du maire et de ses conseillers aurait lieu, mais en vain. Le maire demeura chez lui et passa le reste de la journée à soigner ses bosses, laissées par les coups de balais. Welly comprit que l’histoire des poissons gaspillés était la seule et unique préoccupation de Théodore Niche. Il retourna donc sur la colline et y trouva Princesse qui semblait faire une sieste.

- Réveilles-toi Princesse, lui dit-il, en frottant légèrement sa patte sur elle, il est temps de rentrer chez ta maîtresse!

- Je ne dormais pas, je pensais à toi, lui dit-elle, tu vas bien?

- Oui, je vais bien, lui dit Welly. Le maire ne semble pas vouloir me tendre de piège, du moins pas pour le moment, je peux donc te reconduire à la maison. Tu sais, reprit le matou, en fixant Princesse tendrement, c’est dommage que tu me quittes, j’aurais tant voulu te faire visiter la jolie ville de Pamatou et te présenter à mes amis!

- C’est gentil ce que tu proposes, répliqua la petite chatte, mais c’est inutile Welly, ma maîtresse a besoin de moi. Allons, il faut partir!

Nos deux copains se mirent en route pour le village, arrivés à l’entrée de la porte de la vieille dame, Welly gratta énergiquement sur le cadrage, jusqu’au moment où celle-ci s’ouvrit lentement. Il s’enfuit ensuite vers l’escalier, pendant que Princesse miaula doucement, en se frottant contre les jambes de sa maîtresse étonnée.

En la voyant, Mlle Dorlota passa rapidement de la surprise à l’indifférence. Comment pouvait-elle reconnaître sa chatte disparue, dans ce gros tas de poil sale et cotonneux! Puis, comme il lui manquait plusieurs touffes sur le dos, l’institutrice refusa de la laisser entrer.

- Eloigne-toi de ma porte, sale chat de gouttière s’écria la vieille dame!

- Mlle Dorlota, c’est moi, Princesse! répliqua la pauvre chatte. Tu ne veux plus de moi? Je t’en supplie, laisse-moi entrer! Je m’excuse, si je t’ai fait de la peine, je ne te quitterai plus jamais, c’est promis!

Princesse tenta de lui filer entre les jambes et d’aller s’étendre sur son coussin préféré, situé dans le corridor. Elle espérait ainsi lui faire comprendre, qu’elle était une habituée de la place. La vieille femme la repoussa fermement du pied en murmurant tristement :

- Ma pauvre Princesse est morte, personne ne viendra lui voler sa place. Vas-t-en sale bête!

Installé dans l’escalier, Welly attendait que se fassent les émouvantes retrouvailles entre la locataire et la chatte, mais figea en voyant Princesse se faire éjecter de l’appartement. La bête attristée retourna auprès de son copain.

- Miou, Miou, gémissa Princesse, j’ai perdu mon foyer!

- Miou, Miou, tout est de ma faute! lui dit Welly, en pleurant amèrement.

- Miou, Miou! fit Princesse, le coeur rempli de chagrin, ce n’est pas de ta faute Welly, ma maîtresse ne m’aimait pas, elle voulait simplement posséder une chatte rare!

- Tu dois y retourner, reprit Welly, d’un ton insistant, même si tu dois lui mordre les jambes pour qu’elle te laisse entrer!

- Pourquoi, miou, miou? demanda Princesse, tout en sanglotant!

- Parce que ta maîtresse finira par comprendre que tu es celle qu’elle a perdue et enfin retrouvée, lui dit-il, après un bon bain de mousse, ton poil retrouvera son lustre d’autrefois. Bien sûr, il faudra attendre quelques mois pour que les touffes perdues repoussent...!

- Je ne veux plus d’une maîtresse qui ne m’aime pas. Je veux rester avec toi, lui dit Princesse d’un ton ferme.

Soudain, Welly aperçut la petite souris, Lilly, qui se promenait dans le corridor de l’immeuble :

- Regarde qui est là, se dit-il, yum, yum! C’est Lilly, Ha fait un bon bout de temps que j’essais de t’attraper, cette fois je t’aurai! Viens Princesse, nous allons nous régaler!

- Tu peux y aller seul! lui dit Princesse, d’un ton résigné, moi je reste ici.

Alors que Welly poursuivait Lilly, la jolie chatte blanche fixa la porte d’entrée et se dit :

- Si seulement je pouvais réussir à ouvrir cette misérable porte, je pourrais sortir de l’immeuble, et montrer à Welly, que je peux apprendre à vivre dans les ruelles!

A l’instant même, un enfant ouvrit la porte d’entrée. Princesse se faufila habilement entre ses jambes et sortit vers l’extérieur.

Pendant ce temps, Welly avait perdu la trace de Lilly ; cette dernière s’étant précipitée dans un petit trou. Il décida donc de retourner auprès de sa copine, il se mit à sa recherche en l’appelant:

- Princesse...! Princesse...! Où es-tu...? Réponds-moi, allons, dis quelque chose!

La panique s’empara de Welly, lorsqu’il réalisa que Princesse n’était plus dans l’immeuble. Il chercha un moyen d’aller la rejoindre, mais personne n’ouvrait cette misérable porte. Il attendit nerveusement pendant des heures, espérant qu’aucun malheur ne soit arrivé à Princesse. Enfin, après une attente qui lui sembla une éternité, la porte de l’immeuble s’ouvrit, Welly en profita pour sortir dans la ruelle.

A son grand étonnement, il ne réussit pas à la trouver. "Où peut-elle se cacher... elle s’est sauvée... pourquoi?" se demanda-t-il. Welly se mit à courir les ruelles d’Antichavallée, à toute vitesse, son coeur battant très fort. Il leva la tête pour regarder sur les toits des édifices, il vérifia les clôtures et même dans les poubelles. "Elle est peut-être blessée! se dit-il, ou bien, elle a rencontré un autre chat de gouttière!" Welly se mit à pleurer et à se sentir vraiment coupable!

- Pourquoi a-t-elle fait cela! se demanda t-il, je lui ai dit à maintes reprises, que les ruelles d’Antichavallée sont encore plus dangereuses la nuit que le jour, surtout pour les chats. Princesse a toujours vécu dans un environnement sécurisant, elle n’a aucune idée du danger qu’elle peut affronter! Oh! Mon Dieu! Si je ne la revoyais plus!

Mais les choses finissent toujours par s’arranger! Après d’interminables recherches, Welly flaira la piste de Princesse tout près du quai. Il l’aperçut en train de discuter amicalement avec un vieux chat noir, un ancien navigateur à la retraite.

Le nouvel ami de Princesse était en train de lui parler de ses voyages autour du monde et de ses tâches en tant que marin vivant sur un navire, comme par exemple, chasser les souris indésirables! Lorsqu’il vit Welly, il le salua chaleureusement et lui dit d’un ton ironique :

- Si c’est toi qu’elle appelle Welly, compte sur elle pour te faire voyager!

- Oh oui! répliqua la petite chatte, je veux retrouver mon pays d’origine! Noirot va m’indiquer la route à suivre.

- Noirot, c’est moi! S’exclama joyeusement le vieux chat noir.

- Enchanté de vous connaître! se contenta de répondre Welly.

- Hum! J’ai l’impression que ton ami t’en veut de lui avoir faussé compagnie, dit le matou noir.

- C’est vrai Welly? demanda Princesse.

- Bien sûr que je t’en veux, Welly lui dit d’un ton sévère, tu m’as fait peur! C’est quoi cette histoire, pourquoi tiens-tu tellement à retrouver ton pays d’origine?

- Parce que je veux savoir si je suis vraiment rare, lui répondit-elle, j’ai besoin de retrouver mes origines à cause de mon ancienne maîtresse. Je devrais lui en vouloir de m’avoir mise à la porte, mais je ne peux pas. Il y a sans doute d’autres chattes rares au Woubidounanlais, qui aimeraient se faire gâter par Mlle Dorlota. La pauvre dame va sûrement mourir de tristesse, si elle n’a pas de chatte à dorloter!

- Je pense que tu dis vrai, se contenta de répondre Welly en soupirant.

- Tu comprends, ajouta Princesse, mon ancienne maîtresse est persuadée que j’ai été dévorée par les chiens. J’ai donc envie de lui trouver une autre chatte rare!

- Je trouve que tu as grand coeur Princesse, lui dit Welly, surtout pour une maîtresse ingrate!

- Allons Welly! répliqua la petite chatte, je dois reconnaître qu’elle s’est occupée de moi comme une vraie mère. Un jour, elle m’a trouvée dans une boutique et m’a donnée un foyer. Je n’ai pas envie de lui en vouloir pour le reste.

Welly vint s’asseoir près d’elle et demanda à Noirot de leur indiquer la route, qui mène au Woubidounanlais. Le vieux chat rigolait de la naïveté de ses jeunes amis et se mit à réfléchir à leur question :

- Il se peut que je connaisse le Woubidounanlais, leur dit-il, puisque j’ai voyagé aux quatre coins du monde et visité des pays inconnus de la majorité des chats. Le nom Woubidounanlais me semble familier! Donnez-moi une minute, pour que je fouille dans mes souvenirs. Hum...! Attendez! Oui...! "Woubidounanlais", beau territoire, rempli de jolis décors féeriques! Il se trouve au Pôle Nord.

- Lorsque vous arriverez au Pôle Nord, poursuiva le vieux chat noir, il vous faudra traverser la vallée du Géant, c’est le coin le plus tranquille du territoire. Ensuite, vous allez apercevoir devant vous, une gigantesque montagne, c’est la montagne du Lutin, il faudra la gravir et redescendre de l’autre côté, où se trouve le Woubidounanlais!

- Ainsi, il faudra nous rendre au Pôle Nord? lui demanda Princesse d’un air innocent! N’est-ce pas la demeure du gros monsieur à la longue barbe blanche, qui venait m’apporter de jolis cadeaux lorsque je vivais chez Mlle Dorlota?

- Oui, c’est exactement là ma belle Princesse! reprit Noirot. Voyez-vous le Pôle Nord est tout droit devant vous et souvenez-vous qu’il ne faut jamais revenir sur ses pas! Si vous vous écartez de votre route, vous allez faire beaucoup de détours avant d’arriver à votre destination!

- Comment pouvons-nous être certain de ne pas nous écarter? lui demanda Welly, la route ne sera pas toujours droite et de nombreux obstacles se dresseront devant nous!

- Que ferons-nous s’il y a une grande étendue d’eau devant nous, comme un lac ou une rivière? lui demanda Princesse.

- Il vous faudra trouver un moyen de traverser, à la nage ou en bateau, lui répondit le navigateur.

- Si nous arrivons devant un volcan? questionna Welly.

- Souhaitez qu’il ne soit pas en éruption! répliqua Noirot, n’oubliez pas qu’un volcan crache du feu, si vous voyez des flammes, attendez qu’il s’éteigne!

- Que ferons-nous si nous rencontrons un troupeau de bêtes sauvages et qu’ils nous empêchent de passer? demanda Princesse.

- Parce qu’ils doivent dormir comme tout le monde, ils finiront par aller faire une sieste, à ce moment là, vous en profiterez pour passer! lui répondit Noirot.

- Bon, je crois que c’est plus clair maintenant, merci mon ami, dit Welly. Allons Princesse il faut partir!

- Salut Noirot, prends bien soin de toi! J’espère que nous nous reverrons un jour! répliqua Princesse.

- Je l’espère bien! ajouta Noirot, bonne chance mes amis!

C’est ainsi que nos deux amis partirent pour une autre grande aventure, au pays d’origine de Princesse. Welly chantait et Princesse applaudissait son copain. Un jour ou l’autre, ils s’arrêteront et ils auront des minous.

Retourneront-ils au village d’Antichavallée? Nous n’en savons rien! Peut-être que nous les reverrons au Woubidounanlais, je crois que ça serait amusant de connaître le pays d’origine de Princesse! Vous ne pensez pas! Surtout de savoir s’ils réussiront à trouver une autre chatte rare pour Mlle Dorlota!

Pérignac 1994

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